Page:Lenotre - La Mirlitantouille, épisode de la Chouannerie bretonne, 1925.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.
281
LA NUIT DU 4 BRUMAIRE

Le château de l’Hermitage est une très vaste et imposante demeure, construite, dans la première moitié du xviiie siècle, par un duc de Lorges et que posséda le ministre Choiseul[1]. Ses longues façades, grises et rousses, dont chacune est percée de quarante-cinq fenêtres, sont surmontées d’un fronton et accotées d’énormes pavillons que coiffent de grands toits mansardés. L’une de ces façades, coupée par un péristyle, est précédée d’une longue esplanade ; l’autre se reflète dans un grand étang qu’encadraient de majestueuses futaies. Les vainqueurs de Saint-Brieuc bivouaquèrent sur l’esplanade ; les chefs, les blessés et les femmes prirent possession du château, déshabité depuis plus de vingt ans[2]. Il comportait du logement pour un régiment et ses caves contenaient des réserves suffisantes à désaltérer une armée. C’était le premier répit depuis la nuit de bataille et d’angoisses, et il serait difficile de décrire ce que put être le cantonnement de ces chouans, depuis une semaine sans autre abri que la belle étoile, de ces hommes et de ces femmes, exhumés de la prison de Peyrode où ils avaient langui plusieurs mois, se retrouvant, dans le demi-jour de cette matinée d’octobre, souillés, boueux, déguenillés, sous les Olympes de ces salons solennels, tendus de tapisseries mythologiques et lambrissés de glaces et de dorures.

  1. Une grande partie des meubles, tableaux, tapisseries provenant du château de l’Hermitage était, récemment encore, conservée au château de Quintin. Il s’y trouvait, notamment, un portrait de madame de Pompadour.
  2. Kerigant, Les Chouans, p. 125. On croit, sans pouvoir l’affirmer, que le régisseur du domaine de l’Hermitage, Thomas, chef de Chouans, était au nombre des prisonniers délivrés à Saint-Brieuc.