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LA NUIT DU 4 BRUMAIRE

Las d’appeler en vain du secours, Peyrode se décourageait de sonner l’alarme. Par la fenêtre du corps de garde, surveillant les abords de la prison, il entendait la rumeur d’une foule en mouvement dont il ne pouvait, dans l’obscurité, évaluer l’importance ni présumer les intentions, — trop évidentes. La situation du geôlier devenait tragique ; sa dureté envers les prisonniers pauvres était légendaire ; il personnifiait, plus même que le bourreau, l’implacable persécution de dix années : pas un des assaillants dont il n’eût torturé le parent ou l’ami ; pas un de ses pensionnaires qui ne le honnît ; et, tandis que s’amassait au dehors la troupe hostile des agresseurs, l’émeute grondait déjà à l’intérieur de la prison[1]. Il se défendit en désespéré ; d’abord, il fait sortir sa mère, qui vit avec lui ; — qu’elle aille vite à l’Hôtel de Ville réclamer du renfort… Puis il barricade sa porte ; il dispose ses six soldats de garde dans la cour, avec ordre de faire feu sur tout individu qui escaladerait les murs. Lui-même s’arme d’une espingole qu’il bourre de balles ; contre ses détenus mutinés qui le poursuivent, qui menacent de l’assommer, il implore l’assistance d’un émigré, M. de Kernen, fort aimé des prisonniers, et celui-ci, charitablement, s’interpose, persuade aux révoltés qu’il est de leur intérêt de différer leur vengeance ; tandis que Méhen, le domestique du concierge, déjà « retourné », circule dans la prison, conseillant aux détenus : — « Mes amis, prenez garde qu’il vous arrive du mal ; criez Vive le Roi[2]. »

  1. Déclaration du concierge Peyrode au juge de paix Cartel.
  2. Déclaration de Louis Deshayes, grenadier à la 82e demi-brigade.