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BOISHARDY

Il était trop madré pour ne pas discerner, dès le début de cette téméraire partie, que son jeu manquait d’atouts : aucun titre à se poser en mandataire des Princes ; ceux-ci, bien probablement, ignoraient qu’il existât ; son nom, d’ailleurs, au jugement des purs royalistes, était celui d’un traître, puisque Puisaye, gentilhomme et officier de la garde du roi, avait servi la cause des Girondins régicides ; aux Bleus, il paraissait tout aussi méprisable, comptant parmi ceux que l’on appelait, dans le jargon de l’époque, les « restes impurs de l’infâme fédéralisme ». Par surcroît d’achoppement, il n’était pas breton, tare irrémédiable aux yeux de quiconque est né dans le pays qui s’étend de Cancale au Croisic et d’Ingrandes à Ouessant. Il rusa : s’étant attaché un homme du pays, Laurent, d’une fidélité candide et quasi dévotieuse, il enrôla, par l’intermédiaire de ce serviteur, une fille de vingt-deux ans, matoise et intrépide[1] ; cette luronne affrontait audacieusement tous les périls ; elle traversait chaque jour les postes de l’armée républicaine et ne fut pas une seule fois suspectée. Bientôt, grâce aux insinuations de cette acolyte bien stylée, la rumeur s’infiltra dans la région que, au fond de la forêt du Pertre, vivait un personnage mystérieux, — le comte Joseph, — un proscrit de marque, un prince du sang royal peut-être… Ses générosités accroissaient son prestige ; il distribuait l’argent sans compter, laissant croire qu’il

  1. Peut-être la fille Potin, ainsi notée plus tard : — « Célèbre à Rennes au temps de la guerre de Vendée, ayant pendant ce temps et depuis récelé les chefs des Chouans… dénoncée et livrée nombre de fois aux tribunaux d’où ses connaissances et son infatigable activité l’ont toujours arrachée. » Archives de la Préfecture de police, A, A/278.