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LA MIRLITANTOUILLE

politiques, leurs rancunes personnelles, à moins qu’ils ne spéculent encore sur un revirement toujours possible qui paiera leur obstination.

Cependant la ferveur quasi mystique des premiers chouans n’est pas éteinte ; elle s’est réfugiée dans l’âme d’un homme dont le nom va grandir de jour en jour et s’imposer à l’histoire, Georges Cadoudal. Depuis qu’il a ramené l’Armée rouge des bords de la Manche aux landes du Morbihan, il se prépare, il travaille, étudie « la tactique, les principes de la théorie et des manœuvres ». Il a vingt-six ans ; il est corpulent : grosse tête, grosses cuisses, un cou de taureau, une force d’Hercule : il brise entre ses doigts un écu de six livres. Son visage pâle et gracieux est encadré de favoris, blonds comme ses cheveux bouclés ; dans ses yeux qui, parfois, s’illuminent d’éclairs, passent les reflets d’une tendre bonté. Caractère fier, puissant et fougueux ; grande nature, rude et inculte : c’est un maître. On parle beaucoup de lui en Bretagne, mais on ne le voit pas : du mystère dont il s’enveloppe naissent des légendes : on le représente « armé d’un fusil à vent, foudroyant ses ennemis sans bruit, suivi par un lévrier blanc, sale et très laid, qui porte les correspondances cachées sous son collier ; il est aussi servi et accompagné par une domestique fidèle, nommée Julienne, que tout le parti connaît sous le nom de Madame Jordonne[1] ». Il vit entouré de quelques fidèles : son quartier général est continuellement mobile : tantôt c’est une maisonnette au milieu des bois, un château abandonné, ou bien cette

  1. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 155 et suivantes.