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DUVIQUET

sont, à leur tour, si terrorisés, qu’ils enragent et haïssent en silence. Même on s’accoutume aux tueries ; on apprend, sans grand émoi, sans étonnement, le massacre d’un voisin rencontré la veille : il paraît que c’était son tour… Un vieux de ces temps affreux dira, bien des années plus tard : — « Le monde se tuait comme mouches et on ne faisait pas plus de cas de la vie d’un homme que de celle d’une bête[1]. » Les fonctionnaires sont en pays ennemis ; ils n’osent sortir des villes et il faut être un héros ou un fou pour accepter l’emploi de juge de paix ou celui de percepteur dans une bourgade éloignée du chef-lieu[2]. Chaque nuit on entend dans les bois « tirer des coups de fusil, signal des rassemblements » ; dans les landes, au fond des chemins écartés, rôdent « des hommes inconnus dont les uns vont à pied, les autres bien montés, mais tous bien armés[3] ». Ce sont des échappés de Quiberon, des Loyaux ainsi que disent les paysans, ou des Vendéens qui ont passé la Loire pour s’engager dans quelque bande. Les chouans circulent même par troupes compactes : une colonne de quatre mille hommes part de Saint-Méen, en Ille-et-Vilaine, se grossit à Ménéac des hommes de Le Gris-Duval, à La Nouée des bandes de Saint-Régent ; ils sont huit mille en arrivant à Ploërmel ; ils ont de la cavalerie et des fourgons et ils traversent ainsi

  1. Abbé Deniau, Histoire de la guerre de Vendée, V, p. 147.
  2. « Les Chouans sont « maîtres partout » et « les campagnes subjuguées leur obéissent. » Lettre adressée au Directoire par Faverot, commissaire provisoire à Vannes, 15 novembre 1795, citée par Le Falher, Le Royaume de Bignan, 490.
  3. Le district de Josselin au Département, 9 frimaire, IV. Le Falher, idem.