tairies isolées du pain et du cidre qu’on leur offrait souvent, qu’ils payaient parfois, qu’ils prenaient quand ils avaient affaire à des « patauds », — ainsi désignaient-ils les gens soupçonnés de tendresse pour la République ; le passage de ce troupeau, uniformément vêtu de rouge, suant, assoiffé, poussiéreux, griffé par les ajoncs, marchant sans ordre, s’attardant aux chapelles et s’agenouillant à tous les calvaires rencontrés pour y réciter des prières, laissait derrière lui la disette et la ruine. Encore ces pauvres gens exténués, ne sachant où on les menait, ne mangeaient-ils pas à leur faim, et voyaient-ils de mauvais œil les gentilshommes de l’État-major se goberger dans les châteaux. Leurs chefs, à eux, les Cadoudal, les Mercier, les Guillemot, partageaient leur vie rude et cassaient la croûte au bivouac ; mais à M. le vicomte de Pont-Bellenger et à sa noble escorte, il fallait table bien servie, cour de femmes élégantes, bons vins, bon gîte et bons lits. Cette nouveauté choquante déplaisait aux Morbihannais ; ils ne se gênaient pas pour maugréer contre ces émigrés arrogants qu’on n’avait jamais vu se battre et qui dissimulaient mal leur dédain pour les rustres qu’ils commandaient.
Cette vie de Cocagne de l’État-major n’allait pas toujours sans à-coups. Certain jour, — c’était le 20 ou le 21 juillet, — comme l’Armée rouge, par d’affreux chemins, traversait la forêt de Lorges, se dirigeant vers Quintin, les chefs tenaient conseil au manoir de Kerigant. Les Bleus ! Les Bleus sont là ! En un instant les cachettes de la maison se referment sur tous ceux qui peuvent y trouver place : les autres sautent sur leurs armes, traversent en trois