Page:Leneru - Le Cas de Miss Helen Keller.pdf/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vue plus délicieuse que les odeurs qui filtrent à travers des branches chauffées du soleil et agitées par le vent, ou la marée des parfums qui s’enfle, se calme, s’élève encore, onde à onde, remplissant le vaste monde d’une invisible odeur. Une bouffée de l’univers nous fait réver des mondes que nous n’avons jamais vus, nous rappeler en un éclair des époques entières de notre plus chère expérience.

Après quelques notations du parfum des saisons, auxquelles nous sommes entraînés, grâce à l’observation lyrique d’une toute moderne littérature, Helen Keller revient à son point de vue plus psychologique de l’odorat, sens informateur :

Je sais, par l’odorat, dans quelles maisons je pénètre. J’ai reconnu une maison de campagne à l’ancienne mode parce qu’elle possède plusieurs couches d’odeurs, laissées par une succession de familles, de plantes, de parfums et de draperies.

Dans le calme du soir, il y a moins de vibrations que pendant le jour, ainsi je dépends davantage de l’odorat. Le relent sulfurique d’une allumette me dit qu’on allume les lampes. Plus tard, je note une défaillante traînée d’odeurs qui flotte encore et disparaît. C’est le signal du couvre-feu. On éteint les lampes pour la nuit.

Au dehors, je suis avertie par le toucher et l’odorat du terrain sur lequel nous marchons et des lieux par où nous passons. Quelquefois, quand il n’y a pas de vent, les odeurs sont groupées de telle sorte que je reconnais le caractère du pays. Je peux situer une haie, une grange, une ferme dont les fenêtres sont ouvertes, un bouquet de pins.

Je n’ai pas, à la vérité, le flair infaillible du lévrier ou de l’animal sauvage. Néanmoins les odeurs humaines sont aussi variées et capables d’être reconnues que les mains et les visages. Le cher parfum de ceux que j’aime est si défini, si impossible à confondre que rien ne peut l’abolir complètement. Si des années se passaient avant que je puisse revoir un ami intime, je crois que je reconnaîtrais instantanément son parfum, au cœur même de l’Afrique, aussi rapidement que le ferait mon frère qui aboie.

Une fois, il y a longtemps, dans la foule d’une gare, une dame, en passant, m’a embrassée. Je n’avais pas même touché sa robe, mais elle laissa un parfum avec son baiser, qui me donna une lueur d’elle. Voilà bien des années qu’elle m’a embrassée. Cependant son parfum est vivant dans ma mémoire.

Il est difficile de trouver des mots pour la chose même : l’odeur caractéristique de la personne. Il semble qu’il n’y ait pas un vocabulaire adéquat des odeurs et je dois retomber dans les phrases approximatives et les métaphores.

Certaines personnes ont une vague odeur insubstantielle qui flotte