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préface

vraie donnée de la Triomphatrice, celle qui en faisait pour moi l’intérêt, donnée que je retrouve dans l’esprit de chaque scène et sous chaque réplique, est simplement et uniformément celle-ci : « La femme a besoin d’aimer au-dessus d’elle, d’aimer en adorant ; en s’élevant, elle donne à l’homme la tâche amoureuse de la dominer de plus haut ; ne se lassera-t-il pas de l’effort ? ne demandera-t-il pas grâce ? Malheur pourtant à celui qui faiblit ! si l’on prétend qu’il aime encore, est-ce lui qui aimera de bas en haut ? »

Eh oui ! je le sais bien qu’il y avait un défi dans cette pièce, et ce défi, je l’ai osé malgré le danger prévu ; et je le demande encore à mes contemporains, à mes contemporains de valeur. Qu’auriez-vous donc fait à la place de Sorrèze ? Auriez-vous aimé le beau monstre ?

Oh ! même en effigie, qu’il ne vous a pas semblé beau, qu’on vous a senti peu amoureux !

Une femme, une maîtresse, professionnellement supérieure à l’homme aimé, allons donc ! mais je n’admettrai même pas la supériorité morale de l’homme qui accepterait cela. Je le plaindrais surtout : voilà tout ce que ma pièce a voulu dire. La vérité est que la situation est si atrocement brûlante, que pas un homme n’accepte de s’y unir. Je n’ai de ressource qu’à la nier et à la fuir. Les femmes elles-mêmes n’en conviennent pas, tant elle est mortelle à l’amour.

Le cas de jalousie professionnelle illustré par les ménages d’artiste et les romans si intéressants de Mme Colette Yver, a été naturellement un de ces « ressouvenirs » à travers lesquels on croit comprendre. Ce n’était pourtant pas ma donnée. J’avais voulu faire pis, ne recourir pour le drame qu’à la seule cruauté de la situation sans qu’il y eût de la faute de personne. En effet, un protagoniste qui pourrait éluder le drame par telle ou telle action ou disposition personnelle, me paraît toujours prouver l’arbitraire de la donnée, ou l’à-faux dans la position du