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la triomphatrice

Sorrèze.

Si vous n’aviez pas souffert, vous ne seriez pas aujourd’hui ce que vous êtes.

Claude, court éclat de rire.

Il y aurait un romancier de moins sur la terre !

Sorrèze. avec reproche.

Et je ne vous aurais pas rencontrée !

Claude, émue.

J’ai donc eu raison de souffrir…

Sorrèze, murmurant.

La revanche approchait…

Claude.

La revanche ? il a fallu la machiner à la sueur de son front. Entre vingt-cinq et trente ans, j’ai failli mourir de l’effort. J’étais dans une solitude à crier… J’étais si lâche que j’ai tenté d’aimer mon mari. Un instinct de conservation m’a sauvée. Voyez-vous, Michel, ce qu’il faut aimer en moi, c’est d’avoir préféré le désespoir au bonheur indigne… C’est alors que j’écrivis Jérôme… J’avais trente et un ans.

Sorrèze, très ému.

Et Jérôme vous donnait à moi.

Claude.

Je suis venue comme la Sibylle, à une heure où j’avais les livres entiers de l’avenir dans mes bras. On m’en a refusé le prix et trois furent jetés au feu. De ce qui restait, j’ai eu la même exigence, et, devant le refus, trois encore ont été brûlés. C’est des trois derniers livres que la Sibylle reçut le prix qu’elle avait attendu de tous. (Un silence. Sorrèze tient la main de Claude et la serre avec force. Ils ne se regardent pas.)