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Lorsque Mlle d’Évran sut que le comte était blessé dangereusement peut-être, elle comprit qu’elle seule était la vraie cause de cette rencontre. Elle se fit aussitôt de graves reproches à elle-même, elle eut des repentirs, presque des remords, se regardant comme responsable de ce qui était arrivé.— L’épisode de la veille, dans sa promenade en forêt, s’éclaira d’un nouveau jour à ses yeux. Elle se trouva ridicule dans son rôle de petite pensionnaire effarouchée pour un simple baiser sur la pointe du pied, baiser fervent, sans doute, puisqu’elle en avait tressailli de tout son être, mais innocente peccadille après tout, qu’elle avait encouragée, presque autorisée par la franche sympathie de son accueil, ses regards, ses sourires ou ses paroles émues dont elle ne se rendait pas bien compte. Si un galant homme, ébloui par son ravissant petit pied de Cendrillon, s’était oublié jusqu’à y porter ses lèvres, il fallait qu’un ardent et profond amour eût parlé plus haut que la froide raison ; si le comte avait un instant perdu la tête, ce grand crime était bien excusable. Et comme il a dû souffrir, le pauvre garçon, pensa-t-elle, quand, avec une attitude résignée et des regards suppliants, il m’a offert l’eau bénite que j’ai méchamment prise au doigt de ce gros fat d’Alexandre. Après tout, le comte Albert a prouvé qu’il préférait une