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au front, qui se nommait Érèbe ; à peine sorti de ses landes bretonnes, d’un naturel un peu sauvage, chevelu comme les bons coureurs de l’Ukraine, ayant quelque chose de vif, de svelte, d’allègre et de fier, avec sa narine ouverte et son œil de feu. Il faisait vaguement rêver des fabuleux hippogriffes chantés par nos vieux conteurs du moyen âge. Secouant sa longue crinière et sa large queue en éventail, avec un hennissement de joie, il s’enlevait comme un oiseau sous la main nerveuse de son maître, qui le maniait avec autant d’adresse que de vigueur, l’arrêtant court au galop, et rivé en selle comme si l’homme et la bête ne faisaient qu’un ; tandis qu’Alexandre, perché dans sa rondeur sur un très haut cheval anglais, dit de grande race, et long jointé, manquait absolument de grâce naturelle ; il était solide, mais gourmé. Dans sa manière on retrouvait la haute école, la roideur automatique, la rhétorique de manège, et ceux qui le voyaient passer ne se gênaient pas pour se dire : « En voilà un qui a dû payer cher son professeur. » Il n’y avait aucune comparaison possible entre les deux cavaliers, et Mlle d’Évran n’était pas la dernière à s’en apercevoir.