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se laisser franchement idolâtrer par un tout jeune homme aux impressions neuves, dont le premier amour s’éveille comme un orage de printemps, dans un ciel de lumière et de parfums. Il n’en était pas ainsi de Thérèse ; c’était même bien différent pour elle. Non choquée assurément, mais toute surprise de cette brusque éclosion d’amour, elle en eut d’abord un frémissement douloureux, comme une espèce de commisération maternelle, à l’égard d’un enfant malade, inconscient et irresponsable ; mais elle n’en fut pas émue plus que de raison pour son propre compte, et resta absolument étrangère à toute pensée d’amour. Dans son pauvre cœur, encore tout meurtri de son deuil, une image inoubliable vivait enchâssée profondément ; aucune autre ne pouvait y pénétrer. Il n’y avait pas deux ans qu’elle était veuve.

Que de fois, dans le silence et l’obscurité des nuits, n’avait-elle pas eu de chères et douloureuses apparitions, qui, de leurs sources profondes, faisaient jaillir des torrents de larmes !

Même longtemps après son réveil, elle croyait encore à la réalité de ses visions trompeuses, et parfois refermait les paupières en essayant de renouer ses rêves.

Quand le jour brumeux du matin éclairait, vaguement autour d’elle les rideaux, les tapis et les meubles, tristement accoudée sur l’oreiller,