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s’accroche à une robe, la robe de la jeune et gracieuse femme que Dieu fit notre mère. Elle, tricotant nos bas ou brodant nos vestes futures, va tout droit son chemin sur le haut tapis des salons ou le sable fin des allées, n’osant détourner la tête pour ne pas décourager nos efforts…, mais son cœur a des yeux. Elle est un écho de nos moindres mouvements. Elle chemine heureuse… l’enfant grandira… et peut-être un jour sera Duguay-Trouin, Pétrarque ou Vélasquez ; — elle est la mère d’un homme qui doit dompter la mer ou conquérir des âmes.— Au printemps de la vingtième année, le frôlement d’une robe éveille une tempête en nous ; nos oreilles tintent, nos yeux se troublent ; quelque chose nous prend à la gorge et paralyse nos paroles ; avec quelle joie nous verserions tout le sang de nos veines pour un seul pli de cette robe qui passe ! — Et plus tard, quand nous avons vu soixante et quelques fois s’effeuiller la cime rougeâtre des marronniers, que l’heure est venue de quitter la scène, que nous nous sommes couchés pour passer bientôt par cette petite porte basse ouvrant sur les grandes régions inconnues ; alors, si à notre oreiller nous entendons le bruit d’une robe qui veille, nous savons qu’une belle main pieuse est là pour clore nos paupières. Cette suave pensée nous console presque de mourir, nous aide à passer doucement,