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vant lui, hébété par la route qu’il avait faite, et de temps en temps d’une secousse des épaules remontait la bricole qui lui labourait la nuque. L’orgue, étant sonore, s’entendait de loin. Des ribambelles arrivaient en courant pour être plus près de la musique, et celle-ci grinçait avec des fioritures de flûtes piaulant sur une basse de tambourin roulant constamment.

La gaîté à présent s’augmentait de tout ce qui était bruit, lumière, spectacle, prétexte à crier et à rire. Des rondes s’épanchaient sur la place, déhanchées, les bras dessinant des oves au-dessus de la tête des danseuses. Cela cessait, recommençait ailleurs, avec des entraînements irrésistibles, en attendant que le bal ouvrît ses portes à l’estaminet du Soleil. Et une sueur montait de cette vaste flânerie sous un soleil brûlant. Les dos bouillaient ; les chemises collaient à la peau ; l’eau, par filets, ruisselait le long des tempes. On voyait les femmes cambrer leurs reins pour décoller de la chair leurs robes mouillées.

À trois heures, une poussée se produisit du côté du Soleil. On montait deux marches. Elles étaient assaillies d’un flot qui se tassait, se poussait, au milieu des indignations des filles froissées et des éclats de rire des garçons bourrant à coups de poing les rangs devant eux. Le flot se brisait dans la salle, allait s’abattre sur les bancs qui garnissaient les quatre murs, ou bien incontinent se mettait à tournoyer avec un élan effréné.

Deux clarinettes, un fifre et un tambour étaient installés dans la cage des musiciens, en surplomb sur la salle, et le fifre, d’un mouvement continu de la tête, battait la mesure, dirigeait son orchestre. La gaîté éparse à travers le village sembla alors se concentrer dans cette large salle du Soleil, qui tremblait, secouée par l’immense trépignement de tous les couples lancés à travers une danse endiablée.