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groupes passaient sur le chemin, ils cognaient au carreau et les appelaient pour trinquer avec eux. Cela faisait petit à petit des rassemblements.

La chaleur étant très grande, on se mettait à la porte debout devant les tables. On se parlait nez à nez, l’un en face de l’autre, avec des gestes amples. Des affaires se traitaient, la finesse, aiguisée par le genièvre, mettait aux prises les marchands de grains et les marchands de bestiaux, arrivés du matin. On se secouait les mains ; des démonstrations d’amitié rendaient les yeux tendres ; et la tendresse augmentant, on se régalait de tournées réciproques.

Des verres vides encombraient par files inégales les tables poissées d’écume de bière. Quelquefois un mouvement brusque d’un buveur faisait bouger les verres, qui s’entrechoquaient avec des cliquetis. Ce bruit des verres se mêlait à la rumeur des conversations, celles-ci formant un grand bourdonnement sourd qui avait l’air de rouler sous les tables et par moments était dominé par des éclats de voix plus hauts.

Dans l’intérieur des cabarets, une fumée bleue battait les plafonds et de là retombait en nuage sur les gens assis. Des dos s’arrondissaient dans des sarraux indigo, lustrés par les filées de jour qui passaient sous les stores demi-clos. Des coudes nageaient dans de la bière ; sur les faces plus rouges grandissait l’ivresse.

Tout le monde fumait. Des étincelles braséaient au creux des pipes. Çà et là, une allumette éclatait, lueur phosphorescente dans l’obscurité brune. Les bouches rejetaient les bouffées de tabac, bruyamment ; des salives claquaient à terre ; parfois, un hoquet mettait comme une coupetée brusque sur le ronflement de toutes les voix parlant ensemble.

On entendait tinter les verres sur les plateaux portés