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devant le comptoir, il avalait une chope. Comme il était connu, on lui demandait des nouvelles du bois. Il clignait de l’œil.

— Vous voudriez savoir de quoi, pas vrai ? Eh ben, non. Le bois, c’est mon affaire. Y en a qui disent que les braconniers font tort au bois, qu’y a plus de chevreuils, plus de lapins, plus de faisans. Moi, je vous dis que c’est pas vrai. C’est les gardes qui disent ça pour amuser le monde. Moi, je m’en fiche, des gardes. Je leur-y dirais ça à eux-mêmes. Qu’y fassent notre métier donc, et y verront s’y a plus de bêtes au bois.

Le genièvre le mettant en gaîté, il raconta qu’il avait descendu deux chevreuils la nuit. Et même les chevreuils avaient pris la route de la ville. Il ne s’en cachait pas. Au contraire, il faisait le pari d’aller le dire aux gardes si quelqu’un tenait pour une tonne de bière à boire avec les camarades.

Il frappait sur les tables de la largeur de son poing. Une expression de défi troussait sa lèvre. Il regardait les paysans la tête haute, avec son instinct de sauvage indépendance. Et il s’en allait, disant qu’il repasserait payer en revenant de la ville. Il frappait ses poches du plat de la main.

— J’serai riche !

La Duc et Gadelette, pendant ce temps, arpentaient le long ruban de chaussée. L’enfant haletait ; à force de tirer, le rude épiderme de ses mains s’était crevassé ; un peu de sang rougissait l’attelle. Quant à la vieille, elle avait conservé son large pas égal. Les bretelles entraient dans la peau de son crâne. Elle plissait les yeux, gagnée par un étourdissement ; mais, comme la bête à la charrette, elle serait tombée sur ses deux genoux plutôt que de s’arrêter. Ce groupe farouche traversa les faubourgs.