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agrandis, il les regardait moutonner dans les transparences des taillis, silhouettes grises, blancheurs fuyantes, fourmillement de formes indécises, et, à de certains moments, ce va-et-vient farouche paraissait s’immobiliser au milieu du sommeil du bois, et des soupirs, des vagissements d’amour et de douleur répondaient seuls alors à la voix grave du vent, qui continuait à ronfler dans le silence de la nuit.

Tout à coup, un cri déchira l’air. C’était l’homme qui imitait le chevrotement de la femelle : en même temps, il oignait ses habits d’une graisse puante qu’il avait prise dans une de ses poches.

Il écouta.

Une agitation se produisit dans le fourré. Il y eut un froissement de branches remuées. Et, presque aussitôt, un chevrotin bondit dans la clairière, la tête haute. Là, une hésitation parut le prendre. Il demeura un moment immobile, aspirant à plein mufle cette senteur maternelle. La vapeur bleue de la lune l’enveloppait, lustrait son pelage, allumait une paillette dans son œil rond, et subitement il recommença ses bonds, du côté du chêne cette fois.

Cachaprès, arc-bouté sur sa branche, la tête ramassée dans les épaules, leva son terrible bras, plus ferme en ce moment qu’un pieu de fer. Une férocité le remplissait, sa narine battait. Mais, froid comme son couteau, son œil guettait la place où il allait frapper.

Le chevrotin avança d’un bond encore et tendit sa fine tête avec un mouvement inquiet. Un sifflement perça l’air alors, et, lourd comme une masse, le couteau vint s’enfoncer entre les épaules de la bête, qui poussa un cri déchirant, se dressa sur ses pieds de derrière, et, la minute après, roula deux fois sur elle-même.

D’un saut, l’homme fut à bas de la branche. Une tré-