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Un murmure profond flottait dans l’énorme clarté bleue de la nuit. C’était la douceur d’un éventement qui ne finissait pas et se prolongeait, régulier, noyé dans un bourdonnement inexprimable. Cela traînait dans les arbres, sortait des taillis, montait des profondeurs, avec un ronflement assoupi d’orgue. Et une autre rumeur, sourde également, se confondait avec celle-là, composée du broutement de toutes les bêtes rôdant à travers la nuit. Une curée énorme s’accomplissait, des ventres se gorgeaient dans l’ombre, et toutes ces voracités réunies formaient au fond de la forêt un bruit pareil à celui du vent dans les pins.

Cachaprès, lui, était habitué à cet orchestre extraordinaire de mâchoire, broyant et de coups de dents happant. Il reconnaissait au froissement des branches les reins glissant dans les taillis, les croupes frôlant le dessous des arbres, l’ondulation souple des chevreuils filant dans le mystère des remises, le bondissement des lièvres coupant de leurs dents aiguës leur passage à ras du sol. Et par moments, ce vaste grouillement obscur était dominé par les retombées saccadées d’un galop. Des pourchas remplissaient les fourrés d’une colère vague, avec des heurts secs de cornes et des rumeurs de voix grêles. Puis le tapage cessait, se terminait dans le piétinement étouffé d’une marche incessante et l’halètement continu de tous les ventres vautrés dans des ripailles.

Et Cachaprès écoutait monter à lui l’inexprimable horreur de cette animalité éparse à travers les ténèbres, Une odeur s’échappait des cohues confuses qu’il sentait battre la nuit autour de lui, et cette odeur le grisait, finissait par l’emplir d’un vertige. Il aurait voulu tenir toutes ces proies l’une après l’autre au bout de sa carabine, se prendre corps à corps avec elles, rouler dans leur sang après les avoir égorgées à coups de couteau. De ses yeux