Il avait pris l’allure d’un homme éreinté et vieux. Appuyé sur un bâton qu’il venait de couper, il traînait la jambe contre laquelle pendait sa carabine. La largeur de ses épaules s’était effacée. Il marchait le corps oblique, la tête ravalée, rapetissant sa haute stature. Ainsi, les gardes ne se défiaient pas. Cette mince silhouette passait presque inaperçue, dans les arbres. Ou bien aperçue, elle semblait appartenir à un pauvre hère cheminant vers son logis. C’était une des mille ruses de Cachaprès de prendre dans l’ombre des postures douteuses ; et, tout en ayant l’air de se mouvoir lentement, il faisait de larges enjambées. Il avait emporté son fusil à tout hasard ; on n’est jamais sûr de ce qui peut arriver. Une bête peut vous partir dans les jambes. Puis, on a des chances de tomber sur quelqu’un qui n’aime pas les braconniers. Ça, c’est la chasse à la grosse bête, alors ; il faut toujours être prêt à tout.
Cependant, il était prudent depuis quelque temps. Il évitait de tirer. Un coup de feu est entendu des gardes, et il sentait le besoin d’être un peu oublié. Un collet, au contraire, se pose sans bruit et l’on a moins de risque d’être pourchassé.
Les yeux de Cachaprès sondaient les profondeurs de la forêt. L’intensité du guet leur donnait une sorte de phosphorescence. Ils étaient effroyablement tendus et roulaient dans tous les sens, embrassant presque à la fois toute l’étendue qu’ils avaient devant eux. Un peu plus d’agitation dans les branches, une ondulation inhabituelle des taillis, un jeu de la lumière détachant un objet sur le noir des fonds les arrêtaient. Ils s’agrandissaient alors et l’énorme forêt semblait tenir à l’aise dans cette dilatation. Le cou tendu, avec ses yeux terrifiants qui dévoraient l’inconnu, l’homme prenait en ce moment des airs de bête fauve à l’affût. L’alerte reconnue fausse,