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cence de femelle stérile, pareille à une lice gourmande qui ne décesse pas ; et cette torture avait graduellement démoli le petit homme rabougri qui faisait à présent dans le ménage la besogne d’une femme.

Tout d’un coup, la fureur de la femme était tombée.

Un matin, en allant au bois, elle avait trouvé au pied d’un arbre, dans des linges tachés de sang, un petit enfant bleu de froid, demi-mort. Une mère avait dû s’accoucher là. Le sang allait en traînée jusqu’au sentier. Puis on ne voyait plus rien. La marâtre, ayant mis bas sa portée, s’était dérobée.

Ce fut une grande douceur pour ces créatures farouches. Les Duc ramassèrent le nouveau-né et, l’ayant porté dans leur hutte, l’élevèrent au lait de chèvre.

Elle devint vraiment leur fille. Ils l’avaient aimée comme si elle leur était sortie des entrailles, et elle avait poussé dans leur vie comme une partie d’eux-mêmes, ayant leur rudesse, leurs instincts, leur haine de tout ce qui n’était pas la forêt.

Dans les commencements, une peur les avait empêchés bien des fois de dormir. La mère se trouverait un jour peut-être ; elle réclamerait son enfant : cela ferait des affaires. Non pas que la Duc se fût résignée à rendre la petite ; elle l’aurait tuée plutôt d’un coup de son sabot ; car si elle ne l’avait pas nourrie de son lait, c’est qu’elle n’avait pas pu et elle n’en avait pas moins été la mère définitive pour cette fillette abandonnée par une mère de hasard.

Heureusement, la peur avait été vaine. Aucun être vivant ne s’était présenté pour réclamer cette œuvre de la chair lâchée au coin d’un bois. Elle avait continué à vivre à un pas de l’arbre au pied duquel elle avait été trouvée. La forêt avait pris possession de cette vie commencée dans la forêt, lavant de ses soleils, de ses pluies, de ses neiges, l’horreur du