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visage de femme. Quant au vieux, c’était un petit homme sec, plié en deux. Un coup de hache lui ayant emporté la main gauche, son bras se terminait par un moignon qu’il maniait à peu près comme une main. La vie de la forêt avait fini par lui façonner un museau allongé de loup, éclairé d’un clignotement d’yeux gris, sous un buisson de sourcils roux ; du poil s’échevelait dans ses longues oreilles cornues. Il avait une malice, qui était de se faire passer pour sourd. Cela lui permettait de ne pas répondre quand il était interrogé ou que sa mégère, qui avait la voix haute, laissait crever sur lui ses bourrasques.

L’homme dans ce ménage était la femme. Elle fendait le bois à coups de hache, dans la forêt, d’un han ! puissant, sans se lasser. Une chemise de grosse toile bouffant sur sa gorge plate, le cou et les bras nus, elle levait et baissait l’énorme fer d’un mouvement régulier qui faisait rouler les billes de ses biceps à temps égaux. Et la peau sèche, sans une goutte de sueur, elle commençait à l’aube et finissait à la nuit cette besogne qui lui faisait gagner la journée d’un homme.

Le mari, lui, brouettait les bûches, liait en fagots les brindilles ou taillait les ramons pour en faire des balais. C’étaient les Duc.

Il y avait près de quarante ans qu’ils habitaient leur hutte, la replâtrant à chaque hiver d’un peu de terre glaise, rempaillant de chaume les trous faits par l’ouragan au toit, maintenant debout la bicoque avec des rapiéçages rappelant le travail de reprises des vieux tricots usés.

Une colère était demeurée entre ces vieilles gens : ils n’avaient pas eu d’enfant. La Duc accusait l’homme ; lui, grondait contre le ventre infécond de sa femme. Petit à petit, à force de l’entendre recommencer cette querelle, il s’était tu, finissant par croire que les torts étaient de son côté. Mais elle s’était obstinée dans son âpre concupis-