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éclatantes. Régulièrement les vaches quittaient l’étable à cinq heures du matin, les coqs sonnant leur fanfare. Elles demeuraient au vert jusqu’à midi, puis on les menait bouser à l’étable jusqu’à deux heures, et de nouveau elles allaient à la prairie jusqu’à la tombée de la nuit. Aucun sentier ne traversant le pré, les vaches cornant de leurs mufles en l’air faisaient entendre la seule rumeur qui se mêlât au gloussement du ruisseau, sous les arbres balancés par le vent. Et Cachaprès, voyant ce grand silence, avait pensé qu’ils seraient bien là tous les deux pour se causer les yeux dans les yeux. Le bois s’élargissait à droite et à gauche, et un peu plus loin s’escarpait, prenant graduellement une dénudation sévère de forêt. Il se sentait autrement à l’aise dans cette solitude que dans les vergers toujours traversés par quelqu’un ; et il regardait par moments les rouges feuilles sèches qui forment litière sous les hêtres, avec l’idée qu’on pourrait s’y rouler comme sur de l’édredon. La nuit, il s’y couchait, tâtant du plat de ses mains leur douceur tiède. La pluie seule le faisait détaler. Il s’enfonçait alors sous les hêtres et gagnait un abri de planches et de paille, délaissé dans le recoin d’une clairière par les bûcherons. Une grande fainéantise avait pris ce travailleur de la mort.

Une après-midi, il s’était allongé près du ruisseau, à plat ventre dans l’herbe. Une de ses mains pendait à travers l’eau, faisant au flot tranquille un obstacle contre lequel il bouillonnait en clapotant ; et, les yeux noyés de somnolence, il regardait la transparence du fond s’allumer sous lui de clartés de soleil. Des araignées à longues pattes remontaient cette coulée de source, ramant par saccades furieuses. De très petits poissons les croisaient, rapides comme des éclairs. Et le ruisseau s’encavant un peu plus loin dans une mare, toutes les grenouilles à la