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bois s’était seulement étiré comme une planche détraquée au soleil. Et elle allait, sa haute taille sèche pliant un peu sous le poids du cadavre. Cette petite troupe se perdit dans le matin bleu du bois, tous les merles sifflant à la fois, comme pour saluer celui qui s’en allait.

À la sortie du cimetière, le cadet paya à boire. Jamais il n’avait songé à faire aux siens une distribution de l’argent qu’il gagnait largement. Il était généreux pourtant. Mais les pauvres gens ayant besoin de peu, ne demandaient rien, et il ne pensait pas à leur donner. Ce jour-là, il soûla ses frères. Les femmes burent aussi. Il eût voulu soûler tout le village, dans son désir de faire quelque chose pour le mort.

Seule, la vieille Hornu ne toucha pas à son verre. Elle demeura tout le temps immobile, les mains posées sur ses genoux, regardant vaguement le trou noir que faisait l’absent auprès d’elle, sans penser à rien. Le soir venu, comme les garçons ronflaient à terre, ivres-morts, Cachaprès prit l’un et la vieille prit l’autre. Elle le hissa sur son dos, comme elle eût fait d’un sac, et le porta jusque chez elle, courbée en deux, les mains robustement posées sur ses hanches. Elle rentrait, son fils sur le dos, dans la maison d’où elle était sortie le matin, son mari sur les épaules. Et, à quelques jours de là, elle mourut à son tour, sans maladie, comme meurent les femelles quand les mâles n’y sont plus.

Cachaprès reprit sa vie.

On ne hante pas les cabarets sans connaître les filles. La fermentation des printemps mettait une flambée d’étincelles dans ses veines. Il se rapprochait alors des étables, des seuils sur lesquels bavardent le soir des garces aux bras rouges. Cette chair mafflue satisfaisait ses appétits d’homme pour qui l’amour est une hôtellerie. Il