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et persilla d’une volée de plombs les feuilles d’un coudrier.

C’était donc ça ! Il garda jalousement son second coup pour une bonne occasion. Elle se présenta le soir du même jour sous la forme d’une chevrette finement découplée.

La bête traversait un ravin par petits bonds, la tête haute, avec des rythmes légers de danse ; dans l’ombre verte, plus loin, une troupe de chevreuils s’espaçait, proche d’une mare ; et une quiétude les tenait là dans le frisson murmurant du bois.

Il visa.

Un fracas déchira l’air. À travers la fumée bleuâtre il vit alors une galopée affolée, toute la bande se ruant droit devant elle, et il resta l’arme contre la joue, ne voyant plus, n’entendant plus, comme effrayé de sa puissance. Le trouble dissipé, il courut à l’endroit où il avait tiré. La chevrette avait détalé : il avait manqué son coup.

Il raisonna, se dit qu’il avait tiré trop bas, réfléchit longuement au moyen de faire mieux ; et brusquement, un vacarme de voix s’éleva dans le fond du bois. Il entrevit des hommes se démenant, coupant à grandes enjambées par les taillis, et l’un d’eux, qui avait une carnassière à l’épaule et le fusil à la main, vint à lui, demandant s’il n’avait vu personne. C’était un garde.

— Non, fit le petit, qui sifflotait entre ses dents, très calme.

Leste comme la ruse, il avait caché son fusil sous les ronces. Et les hommes passèrent, ne se doutant pas que ce gamin était déjà un tueur.

Il savait à présent bien des choses : d’abord, comment on se sert d’un fusil, le bruit que ça fait, les gens que ça attire ; et l’aventure remua cette cervelle énormément.