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Il avait déjà les ruses du chasseur. Il marchait sur la pointe des pieds, levant haut les jambes de peur du bruit, s’immobilisant des heures à guetter, sans bouger. La proie apparue, sa décision était aussi forte que sa prudence : il frappait d’un coup net qui ne pardonnait pas.

Ce furent ses commencements. Il vivait de la large liberté du plein air, filant matin, rentrant de nuit et quelquefois passant le temps du sommeil à battre les bois, très peu chez ses parents, qui le laissaient vaguer, indifférents. Les Hornu habitaient pendant l’hiver une masure, bâtie en torchis, sur la limite d’un bois ; une lucarne fichée de travers dans le mur, comme un gros œil, laissait pénétrer un jour glauque dans une pièce à plafond bas, coupé de travées demi-pourries, par delà lesquelles s’étendait le grenier, avec ses cadres de bois bourrés de feuilles sèches qui servaient de lits aux garçons. À l’arrière de la maison, un appentis servait à remiser les haches, les cognées et les pics, en l’absence de bétail.

L’été, l’habitation se vidait. On descendait au cœur des bois, et l’on y construisait des abris au moyen de paillassons tendus sur des piquets. Puis commençait, loin des villages, dans la solitude des grandes coupes sombres, une vie âpre de travail, détendue par de courts repos au soleil grillant de midi ou des sommeils à poings fermés dans la fraîcheur humide des nuits. Un peu de fumée montait au soir des souches qu’on allumait sur le pas de la porte pour y cuire la soupe aux légumes, et les visages se penchaient sur les écuellées, graves, ayant dans les plis du front l’effort de la journée ; quelques mots étaient échangés, brefs et sans gaîté, mais suffisants pour maintenir le sentiment de la famille. Dans le jour, au contraire, les retombées régulières de la cognée et les coups sourds de la hache retentissaient seuls dans les silences