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ouverts s’anéantir dans une contemplation sans fin ; puis la bouche, crispée par les râles, reprit sa forme habituelle, et lentement une majesté descendit sur le front.

Elle le crut endormi et s’approcha : il ne bougeait pas. Elle mit la main sur sa chair, légèrement : sa chair était froide. Elle l’appela, il demeura muet. Alors, furieuse, elle le secoua de toutes ses forces. Son corps avait pris la raideur de la pierre. Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Elle se pencha sur lui, le tourmenta de ses bras, l’embrassa de sa bouche chaude, se sentant envahie par des stupeurs.

Rien.

Puis elle se rappela : des formes de bêtes mortes s’étaient rencontrées sur son chemin, avec cette même rigidité. Elle ne versa pas une larme. Elle s’accroupit auprès de lui, au long de son corps, son maigre bras passé autour de sa tête, et face à face, pendant tout un jour, elle plongea dans ses prunelles vagues ses mornes regards immobiles. Elle le contemplait avec hébétement. Elle n’était plus gênée par rien à présent. Il ne la voyait plus ; ça lui était égal qu’il fût mort, puisqu’elle le possédait. Son féroce désir de fille, haletant comme le rut des fauves et qu’il lui avait fallu rentrer si souvent devant lui quand il était vivant et la faisait sauter sur son dos, sans rien voir ni comprendre, se débridait sur ce cadavre qui la laissait faire, impassible. Et redevenant hardie devant cette complaisance du mort, elle le caressait, l’étreignait, brutale et tendre, sans horreur ni dégoût.

Un chat sauvage vint à la tombée de la nuit, attiré par l’odeur. Elle le chassa à coups de pierre. Des corbeaux se perchèrent sur un arbre voisin et de là croassèrent, graves comme les juges d’un tribunal. Elle cria pour les écarter. Ils reparurent au matin.

Et des jours s’étant écoulés, elle vit une chose horrible.