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d’une voix rauque et sourde qui finissait dans des vagissements. Elle retournait à la source, de nouveau lui collait à la bouche ses doigts humides, et dans les intervalles se plantait devant lui les poings sur les hanches, ou s’accroupissait, ses deux mains enfoncées dans le crespèlement de ses cheveux.

L’épaule avait gonflé. Autour du trou béant et rouge, la chair s’était haussée en bourrelet violâtre sur lequel les sanies suppuraient. Le soleil du midi tomba sur cette chose douloureuse, comme une grêle de feu. Alors il se fit traîner du côté de l’ombre, hurlant à chaque secousse, bien que P’tite le tirât très doucement, et quand il sentit enfin sur sa chair enflammée la fraîcheur des verdures épaisses, il lui prit les mains, la regarda tendrement, murmurant :

— Qui m’aurait dit, m’chère, que t’aurais été la dernière auprès de moi ? Hou ! hou ! han ! J’m’en vas, j’sens que j’suis fini. Tu diras à la vieille Hase, pour qu’elle le dise aux autres, qu’c’est les gardes qui m’ont foutu le coup. Han ! han ! T’iras aussi à la ferme et tu feras mes compliments d’ma part à m’ben amée. Cré Dié ! Hou ! hou ! Tu lui diras…

L’âpre soleil de la veille avait repris carrière dans le ciel ; il gerçait la terre et rôtissait les feuilles, noir comme la désolation. Dans le fourré, les ronces crépitaient, les buissons pantelaient, une torture allait du sol à l’homme.

Cachaprès râlait sous cette brûlure qui s’attachait à sa plaie, la mordait comme d’une dent féroce. Vivant, il sentait sa chair se décomposer dans la fermentation universelle. Des soifs effrayantes desséchaient son gosier. P’tite était sans cesse obligée de courir à la source et d’en rapporter de l’eau ; mais ses doigts en laissaient filtrer la moitié. Il lui montra sa poudrière. Elle renversa la poudre et se servit de la boîte comme d’une coupe, l’ap-