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brute. Il l’aimait comme les mâles aiment les femelles, la portant au fond de lui dans ses moelles, ayant la soif et le besoin de ses attouchements, gardant de son contact une ardeur irrassasiée. Et voilà qu’elle lui était rendue après une séparation qui lui avait paru la fin des fins ! Ce n’était pas vrai qu’elle avait cessé d’être sa volupté et sa proie ! Ce n’était pas vrai que tout était rompu ! Des folies lui passaient par la tête, à force de se répéter qu’elle était à lui encore. Il pensait à courir à travers bois jusqu’à la ferme, à pénétrer dans la cour, à l’arracher à l’inimitié de ses frères. Bête ! Et si quelqu’un le reconnaissait ! Bah ! il prendrait un déguisement, il se barbouillerait le visage, se ferait voûté, cassé, chenu, cheminerait de l’air d’un vieux bribeux. Mauvaise affaire ! Il fallait trouver un autre moyen.

La voir ! tout était là. Petit à petit, une idée germa en lui, qui finit par le talonner d’une impatience fébrile. Il ne pensait plus qu’à cela, à présent ; c’était comme une envie furieuse qui le rongeait. Il s’agitait à terre comme un animal blessé, frappant le sol de ses mains, injuriant le jour, qui tardait à décroître, plein de mépris pour les gloires du soleil. C’est que son idée, pour se réaliser, avait besoin de la nuit, et il supputait les heures, comme le criminel qui guette l’approche des ombres, accélérant de son désir le moment du meurtre. Toute sa violence se réveillait devant cette obstination de la lumière à s’arrêter dans les hauteurs du ciel. Et il en voulait à Dieu de faire si tardifs ses crépuscules.

Le soir tomba enfin. Le soleil, comme une braise refroidie, s’éteignit dans les cieux lourds. Un apaisement se répandit sur la surface des bois. Il entendit frissonner les feuillages ; une vie sourde remua dans les taillis ; la terre, comme sortant d’une léthargie, se réveillait sur un lit de rosées.