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— Pourquoi braconnes-tu ?

— Tiens ! dit-il, parce que c’est mon idée.

Sa timidité s’en allait. Il continua :

— Y en a qui fendent du bois ; y en a qui labourent ; y en a qui font des métiers. Moi, j’aime les bêtes.

Il parlait en se dandinant, le corps redressé, fier de la besogne qu’il faisait. Elle s’était remise à couper de la luzerne, avançant la poitrine à chaque coup de sa serpe.

— Ça donne-t-il de l’argent ? demanda-t-elle.

— Des fois beaucoup et des fois moins. Moi, d’abord, y m’faut rien.

Elle s’informa comment il faisait pour vendre.

Cela dépendait. Quelquefois il allait porter son gibier en ville, à la tombée de la nuit. Il avait des rendez-vous avec des marchands. On faisait le marché en buvant une chope. Et d’autres fois, les marchands venaient le trouver. Mais c’était plus difficile, car il logeait le plus souvent à l’auberge de la belle étoile, sauf les jours de gros temps, qu’il passait chez ses amis les bûcherons. Du reste, tout le monde était de ses amis ; il n’avait de haine pour personne. Ah ! si fait ! pour les brigands de gendarmes. Il en parlait avec dédain, en haussant les épaules.

Cachaprès s’interrompit. Une prudence l’avertissait de briser là. La fréquentation des bêtes l’avait habitué à se surveiller, et il paraissait à présent étonné d’en avoir tant dit :

— C’est histoire de rire, tout ça, dit-il.

Elle le regarda fixement.

— Tu as peur de moi ?

— Non.

— Y a pas de danger que j’te vende.

Il eut un air de défi.

— Oh ! moi, dit-il, ça m’est bien égal.