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derrière un buisson, sous les feuilles, tenant à l’aise dans le moindre repli de terrain, brun comme la terre, noir comme la nuit, immobile, invisible, abrité par le mystère profond des frondaisons. Les gardes passaient auprès de lui sans le reconnaître. Une nuit, blotti dans un chêne, il les vit s’allonger dans le chemin ; ils parlaient bas, étouffaient le bruit de leurs souliers, et la lune allumait d’une paillette le canon de leurs fusils, derrière eux. Il les laissa passer et, tout à coup, du haut de son perchoir, eut un rire saccadé qui retentit à travers les bruissements du bois. Cela les cloua sur place, comme pétrifiés.

D’autres fois, alors qu’ils se morfondaient à le guetter, trempés jusqu’aux os, dans la boue et l’ondée, Cachaprès, largement carré dans une chaise de cabaret, se livrait à des lampées ou abattait les cartes, narguant les pauvres diables qui l’attendaient sous l’orme.

Cependant le gibier diminuait. Les chevreuils, nombreux à l’origine, filaient maintenant par bandes clairsemées. Des biches rôdaient, inquiètes, cherchant leurs faons. Les mâles clamaient après leurs femelles. Cachaprès eut un excès d’audace. Revenant du bois une nuit, tout le village dormant, il déposa à la porte du garde principal six paires de soles, les unes à peines naissantes, les autres à larges pinces, et tout près, du bout de son doigt, il mit une vaste croix, ne sachant pas signer son nom. Le garde à son reveil vit cette ironie. Il y eut un redoublement de surveillance.

Peine perdue.

Cachaprès était un joûteur terrible ; il déroutait toutes les ruses et dépistait toutes les poursuites. Tandis qu’on le cherchait à droite, il opérait à gauche. Il devinait les allées et venues des gardes dans les bois et s’arrangeait de manière à les diriger sur un point pour être plus à l’aise sur un autre. Sauf les paysans à la solde des gardes,