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en mouvement. Les veines saillaient comme des cordes au front de l’homme qui, suant, rouge, enflé, s’inclinait verticalement, tirant de toute sa force. Des mains claquèrent, on cria bravo. Malheureusement, au bout de l’enclos, le terrain déclivait en pente légère. Le roulement de la charrette s’accélérant subitement, obligea le tonnelier à changer d’attitude, et, retenant cette fois sa charge au lieu de l’attirer, il s’arcbouta, ses talons enfoncés dans le sol. Mais la charrette continuant à glisser, les reins du tonnelier plièrent.

— À moi ! cria-t-il,

Cachaprès bondit, se pendit aux roues. L’énorme masse s’immobilisa. Il était temps. Une courbature avait pris le tonnelier en travers du dos et il allait lâcher prise. À deux alors, ils firent remonter la charrette jusqu’à la remise d’où le parieur l’avait tirée.

Cette vie de dépenses et de parades s’alimentait du gibier tué chaque matin. Il appelait le bois « son capital » ; c’était de là que lui venaient ses rentes, et il narguait les braconniers, ses confrères, qui, moins hardis, étaient talonnés constamment par la peur des gardes. Jamais il n’avait été plus audacieux. Il quittait la compagnie en disant qu’il allait poser ses collets et gagnait le bois ostensiblement. Une fois là, il se dérobait. Impossible aux gardes de le suivre.

Le garde-forestier de la localité était un homme déjà vieux et rongé de rhumatismes. Tout seul d’abord, il s’était mis à la poursuite du gaillard ; mais autant valait faire courir la tortue après l’écureuil. Il fit avertir l’administration que Cachaprès ravageait le bois. Deux gardes lui furent dépêchés. À trois alors, ils se postèrent, firent le guet, s’assurèrent des intelligences dans les cabarets où il pérorait. Des gens entraient la mine sournoise, s’asseyaient à la table voisine de la sienne, l’écoutaient dire