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souvenirs, la tête dans les poings. Il était pris du dégoût de la vie ; il eût voulu être une charogne séchant au soleil, au milieu d’une clairière ; il frappait le vide de ses poings. On regardait saigner le colosse, curieusement. Quelqu’un s’avisa de le plaisanter un soir. Il se fâcha. Il y eut une dispute qui aurait tourné à la rixe, sans les paysans qui arrachèrent le plaisant aux mains de Cachaprès. Il haussa les épaules, disant que s’il voulait, il casserait les côtes à toute la bande. On le laissa dire.

Il jouait, aimant les surprises du gain et de la perte. Tout ce qui était apaisement à la blessure intérieure le trouvait prêt. Il faisait des paris. Une fois, il paria de prendre sous chaque bras un sac de pommes de terre, et, ainsi chargé, d’aller danser sur la place. Il gagna son pari. Une autre fois, il paria de boire dix pintes de bière en dix minutes, et il gagna encore.

Un jour, il fit porter un défi à un tonnelier du village qui passait pour n’avoir pas rencontré son égal en force. Le tonnelier, homme paisible, refusa d’abord, puis, poussé à bout par ses amis, accepta. On choisit un enclos pour se battre.

Le tonnelier ôta sa veste et la mit sur la haie, après l’avoir soigneusement pliée. Il était bâti en hercule ; ses épaules étaient massives et rondes, formant du côté des omoplates deux boules immenses ; ses muscles ressemblaient à des nœuds, bourrelant la peau inégalement.

Le rude homme se mit en garde. Cachaprès se lança. Une première feinte lui réussit. Il porta vivement les mains en avant, comme pour frapper à la tête. Le tonnelier para, découvrant le bas de son corps. Agile comme l’écureuil, l’autre alors empoigna sa jambe gauche, et lui passant son jarret derrière la droite, le culbuta. Ce fut un choc terrible : un bœuf s’abattant n’eût pas frappé le sol plus lourdement.