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Hulotte aussi, naissaient dans de bonnes et grasses fermes, étaient choyés dès leur bas âge, grandissaient au milieu de la bonne entente et de la joie, faisaient plus tard les messieurs, se mariaient avec de belles femmes et à leur tour avaient des enfants qui croissaient comme eux.

Il y avait donc sur la terre des gens qui ont tout et d’autres qui n’ont rien, des va-nu-pieds qui crèvent la faim et claquent des dents sur les routes et des richards cousus d’or qui s’entonnent à bâfrer au coin de leur feu ! Ce n’était pas d’hier que cette inégalité existait ; il le savait bien, mais elle avait glissé sur sa cervelle sans y laisser d’empreinte, tandis que maintenant elle sonnait en lui la révolte. Il était de ceux qui, dès le ventre de la mère, sont dépossédés de tout. Iniquité ! Iniquité ! N’était-il pas une créature humaine, pourtant ? Est-ce que parmi les animaux des bois les uns ont plus et les autres moins ? Est-ce que dans la société comme au fond des forêts, il ne faudrait pas la portion égale qui assure à chacun le dormir et le manger ? Tout au moins la richesse et la gaîté devraient appartenir aux hommes forts, aux êtres vigoureux, à ceux qui ont bec et ongles. Il se souvint d’un village où, un homme l’ayant appelé voleur et brigand, il avait pris cet homme à la gorge, en plein cabaret, un dimanche après vêpres, l’avait terrassé, et lui avait laissé sur le front, entre les yeux, la marque des clous de fer de ses souliers. Ah ! on appelait voleur et brigand l’homme qui chasse la bête au bois, comme si le bois et la bête étaient à Jean plutôt qu’à Pierre ? Est-ce que le bon Dieu a mis un commandement là-dessus ? Aveugles et stupides sont les rustres des champs ! Ils n’auraient qu’à s’armer de leurs fourches et de leurs faux pour être maîtres à leur tour, avoir des biens, vivre grassement, dominer les superbes et faire leurs enfants