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comme le bûcheron jette sa hache, il l’abattit sur des dos, des crânes, des hanches, au hasard du tas, pensant plus à frapper fort qu’à frapper juste. Six fois, il recommença, sans leur laisser le temps de se reconnaître. Au sixième coup, la chaise se brisa ; il n’en resta plus qu’un tronçon dans sa main ; mais ce tronçon, carré, massif, se mit à tournoyer terriblement. Le sang jaillissait des faces ; il avait à demi-rompu la clavicule à l’un ; un autre avait la mâchoire démantibulée ; tous s’écrasant, se bousculant, s’aplatissant, s’efforçaient de se garer, le dos en boule et les coudes relevés. Et maniant son tronçon de chaise de toute la vigueur de son bras, il continuait à le faire voler sur cette chair tuméfiée et fumante.

Ce fut la fin de la lutte.

Les deux Hayot n’avaient même pas attendu jusque-là pour se mettre en garde contre un retour des vainqueurs. Les habits lacérés, ayant du sang au visage et aux mains, ils avaient battu en retraite du côté de la rue. Des gens les arrêtaient au passage, s’apitoyaient sur eux. Hein ! Comme ils étaient faits ! Leur peau avait des rougeurs de lièvre écorché ! On n’avait pas eu égard à leur beau linge, à leurs habits neufs ! Les femmes surtout exclamaient, en joignant les mains. Ils donnaient des explications, alors ; c’étaient ces canailles de Hulotte ; ils étaient venus les provoquer au cabaret, tandis qu’ils étaient paisiblement à boire. Même ils avaient tiré leurs couteaux, tandis qu’eux, désarmés, s’étaient défendus avec leurs mains. De là l’inégalité de la lutte. Mais on les repincerait ; ils auraient leur compte ; c’était un scandale pour tout le village qu’on ne les eût pas chassés du cabaret. Le monde s’ameutant, ils cherchaient à exploiter les sentiments de la foule. Les hommes hochaient la tête, les écoutant dégoiser leurs propos, sans bouger. Voyant qu’il ne leur restait que la commisération des femmes et