Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Midi tomba sur l’arbre, avec son accablement. L’homme entendit un choc d’écuelles dans la ferme, et presque aussitôt les domestiques rentrèrent des champs, brisés, la peau rôtie. Il y eut un large cliquetis de fourchettes, dans le silence des voix ; puis, au bout d’une demi-heure, des claquements de sabots et de souliers ferrés traînèrent sur le pavé de la cour, décroissant insensiblement du côté des hangars, et, un à un, les rustres allèrent s’aplatir sur les bottelées de paille, engourdis. La ferme dormit.

La jeune fermière alors gagna le sentier qui longe le verger et mène aux champs. Un chapeau de grosse paille tressée abritait sa figure, la rayant d’une ombre grise à mi-joue, et dans sa main une serpe se balançait. Elle prit à travers un labouré, côtoya un champ de blé et se trouva dans un pré de luzernes. Elle marchait lentement, du pas qu’ont les paysans à midi, sans tourner la tête, et ses fortes épaules se découpaient sur le ciel avec fermeté. Une fois dans le pré, elle s’accroupit sur ses genoux, et, seulement alors, regarda le chêne, au loin.

L’homme n’y était plus.

Avec une certitude d’instinct, elle sentit qu’il arrivait. Elle emmêla ses doigts aux touffes vertes, et du tranchant de la serpe se mit à les couper circulairement. Son sac était posé près d’elle, ouvert, et de temps en temps elle y tassait les luzernes, à la force des poignets.

Une tranquillité pesait sur les campagnes muettes. On n’entendait que le coassement des grenouilles dans la mare voisine, et, par moments, ce cri rauque se ralentissait, mourait dans la somnolence de l’air.

Quelqu’un toussa derrière elle.

Elle tourna vivement la tête et le vit planté droit à la lisière du champ, avec un sourire immobile. Elle ne l’avait pas entendu venir. Machinalement elle regarda ses pieds, croyant qu’il s’était déchaussé pour la surprendre