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lures de feuilles. Des gommes s’accumulaient le long des écorces, trop plein de la circulation intérieure ; par les fentes coulaient les résines ; aux branches s’ouvraient des plaies par où s’échappait la vie, et très haut montait la clameur de la création fouaillée par l’enfantement.

Tout dégénérait en excès ; parfum, lumière, couleur, allongement des tiges, largeur des branchées, densité des fourrés, épanouissement de la fleur dans l’herbe, rondeur des bois à l’horizon. Les bêtes, gorgées de pâture fraîche, crevaient de bien-être sous de belles peaux lustrées Des poursuites incessamment bousculaient les halliers, les prairies et les haies. Moineaux, poules, palombes, roussins, ouailles s’accouplaient, effarés, vagissants, furieux. Des cris rauques de désir emplissaient le vent. Une férocité entrechoquait entre eux les sexes, sous le soleil plombant son vif-argent dans les moelles. Et l’ombre et la clarté aimaient, se caressaient, se pourchassaient, demeuraient pantelants à travers une tendresse inassouvie. Les sources avaient l’air d’être de la vie qui coulait, dans l’immense bruit de la vie en travail, et elles s’épanchaient murmurantes, douces, ayant quelquefois comme des gloussements d’amour, des pleurs mystérieux, ineffablement voluptueux.

Toutes sortes de choses anciennes rajeunissaient, s’éjoyaient, reverdissaient, les saules vermoulus, les pommiers rongés de chancres, les ormes laissés pour morts avec leurs ganglions et leurs goîtres. De vieux murs prenaient une somptuosité de manteau sous l’échevèlement doré des ravenelles. L’ornière s’enfleurait ; le grès s’égrettait d’un panache : la fissure des toits caducs laissait s’épandre une touffe éclatante ; les fumiers eux-mêmes se duvetaient d’une fleur rosée, germaient, entraient dans la noce universelle. Et sur tout cela, dardait le midi, ondulait le vent, coulaient les odeurs, bruissaient les