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C’était le milieu du jour surtout qui pesait sur elle. Des ondées de chaleur brûlante ruisselaient alors sur les cours ; les toits d’ardoises rôtissaient, envoyant par les escaliers des bouffées énervantes ; les fumiers bouillaient, et une lassitude s’emparait de son corps, s’étendait jusqu’à son esprit. À quoi était-elle bonne désormais ? Il ne fallait plus penser au mariage ; les galants connaissant son histoire, chercheraient ailleurs des filles constantes et sûres. On la laisserait vieillir dans son coin, isolée un peu plus à chaque retour de saison ; et devant elle défilaient, solitaires, mornes, à perte de vue, les interminables jours de l’âge mûr. Est-ce qu’elle allait se soumettre à cette dure loi ? Est-ce qu’elle l’attendrait venir, ce déclin de sa chaude jeunesse ? Elle songeait dans ces moments aux filles qui s’en vont à la ville, les unes pour y vivre honnêtement de leur travail, les autres pour y faire la noce. Elle avait des parents à Bruxelles ; un cousin de son père, le garde, était concierge à Paris, et elle se souvenait, au sujet de ce dernier, de vieilles histoires contées par sa mère, où il était question d’une existence extraordinaire, faite de rigolades qui ne cessaient pas. Eh bien, elle partirait, elle irait trouver ce cousin. Peut-être avait-il des garçons ; sa vie, brisée ici, pourrait se reconstituer là-bas. Et cela se terminait en songeries qui l’amollissaient, la rendaient tout à coup paresseuse, au milieu de la besogne commencée.

Autour d’elle, la nature semblait lasse comme elle-même. Il y avait des moments où le paysage s’immobilisait dans une torpeur énorme. Les arbres mettaient sur le ciel irradié des silhouettes inertes. Le soleil pesait alors sur la terre de tout son poids, comme le mâle couvrant la femelle aux jours de l’engendrement. C’était, dans la création, comme une plénitude sous laquelle les hommes et les bêtes sommeillaient, énervés. Seuls, les