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demeura confondue à l’ombre grise du corridor, le moment d’après émergea dans la clarté du seuil. C’était elle. Il la vit traverser la cour, portant sans fléchir, le buste droit, de massives formes à pain comblées d’une pâte éclatante. Il lui paraissait qu’il la voyait pour la première fois : elle était grande, large d’épaules, les hanches saillantes, et ses bras nus avaient le ton bis du seigle. Sur sa gorge haute et drue, une jaquette de laine brune s’aplatissait. Elle entra dans le fournil.

C’était jour de cuisson. Il l’entendit enfourner l’écouvillon, ratisser les cendres, gourmander la servante d’une voix vibrante et brève. Un instant, elle se campa sur le seuil, suante et rouge de la chaleur du four, et regarda les pommiers, les yeux demi-plissés. Ce fut une bousculade dans le chêne ; haussé sur sa branche, il s’agitait et lança un appel.

Une gaîté la prit, et riant à pleines dents, elle montra du doigt à la servante cette masse noire qui se balançait dans les feuilles et la saluait d’un grand geste. Quelqu’un appela : elle rentra à la ferme.

De temps en temps, elle approchait son visage d’une des fenêtres et le regardait continuer sa garde obstinée. Cette ténacité la charmait : elle avait la curiosité, de cette curiosité qui ne se lassait pas. Et, résolûment, elle alla se planter sur le seuil, la tête tournée vers lui. Elle tenait entre ses dents une branchette de lilas ; elle l’ôta, en couvrit son visage, puis l’agita du côté du chêne, et ce mouvement avait une douceur d’agacerie.

La brume s’était levée : un bleu profond tapissait le ciel, et sous une large coulée de soleil, le chêne sonore et superbe rutilait ; un bourdonnement sourdait de ses branches ; dans ses feuilles tourbillonnaient de grosses mouches saphir. Et il avait l’air d’un homme plein de pensées dans la clarté d’une gloire.