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qu’elle venait de voir ployer jusqu’à elle, dans un accès de noire douleur, son esprit demeuré ferme sous les ans, repassait dans sa mémoire, avec ses gestes emportés et ses méprisantes paroles.

Elle gisait sur la cahière comme un corps sans âme, se perdant dans des horizons de sombres conjectures. Par moments, un étonnement qu’elle en fût réduite à cette abjection se mêlait au reste. Elle avait eu une bonne mère pourtant ; des exemples fortifiants avaient nourri son enfance ; elle n’avait vu autour d’elle que des pratiques de vie droite. Et toute cette honnêteté s’était évanouie comme une poussière au souffle d’un printemps !

À force de creuser les mêmes idées, elle finit par perdre la conscience des choses et n’avoir plus qu’une douleur inerte et vague, qui la tenait engourdie sous une pesanteur infinie. Une poule qui achevait de pondre se mit à chanter dans la cour, et ce chant s’élevait clair, par saccades stridentes. Elle n’entendit bientôt plus que cela, s’absorba dans cette clameur triomphante.

Une chose la tira de sa torpeur. Le fermier avait laissé s’échapper de ses mains le billet de Hayot. Il était demeuré sur le carreau, sans qu’elle l’eût vu jusqu’alors. Elle le ramassa et le parcourut rapidement.

Hayot commençait par des paroles ambiguës, regrettait la rupture de leurs bons rapports, muet d’abord sur le motif, puis petit à petit arrivait aux injures et finissait par ces mots :

« Hulotte, j’ai regret de ce qui arrive, à cause que nous étions une paire de camarades et qu’on se convenait ; mais, toi, tes garçons et les autres, vous n’êtes pas bons seulement à ramasser les crottins de mes chevaux ; je ne vous l’envoie pas dire. Et votre fille n’a qu’à courir les kermesses avec ses pareilles : on sait ce qu’elle vaut, allez, et son galant aussi. Sur quoi, je vous dis, moi, que