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geste se perdit dans le vide, et subitement oubliant sa volonté, elle éclata en larmes, criant :

— C’est des menteries. J’ai pas aut’ chose à dire.

— C’est toi qu’as menti, fille abominable, dit-il. T’as qu’à t’regarder dans l’miroir, t’as le visage de la honte. J’te renie ; t’es pas de not’ sang. T’es plus rien pour moi.

Il frappait l’air de coups violents, le visage enflammé, et marchait devant lui, revenait sur ses pas. Les paroles sortaient de sa gorge, étranglées, furieuses, plus pressées à mesure que sa colère grandissait. Il ouvrit le tiroir d’un bahut, et tira un bout de lettre chiffonné, et se plantant devant elle, lui mettant près des joues le papier sur lequel il frappait de la paume de la main, il lui dit :

— Lis ça, tiens. C’est Hayot qui m’écrit. Y m’dit tout et que t’es mon déshonneur, le déshonneur de mon nom. À présent, lui et moi, nous sommes ennemis pour la vie et nos fils sont les ennemis de ses fils, et y aura p’t-être pis encore. Mille Dieu ! Tout ça, parce que t’as manqué à ta famille, à ton honneur. Va-t-en ! T’es pas de not’ sang, j’te dis. Une fille à moi, qu’j’aurais eue de mon lit, avec ta mère, n’m’aurait pas fait ce chagrin. C’est fini de toi ! Va-t-en, j’le dis encore une fois ! Y a plus de place sous mon toit pour une coureuse ! Demande à c’t homme de te prendre sous le sien, fille de rien qu’as trahi ton père.

Elle ouvrit la porte.

— Non, reste là ! s’écria-t-il. J’ai pas tout dit. Ta sainte mère t’avait donnée à moi comme une enfant de nous. J’t’aimais comme mon sang. J’avais compté d’sus toi pour mes vieux jours. J’m’étais fait l’idée comme ça de t’avoir près de moi quand j’n’serais plus bon à rien et d’faire sauter les petits sur mes genoux, dans mon coin. J’sens que j’m’en vas un peu plus tous les ans. C’était mon idée.

Il s’attendrissait ; sa voix tremblait. Un amollissement