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regret de détruire une beauté qui lui avait donné ses plus grandes joies.

Elle appela à elle son énergie et cria à l’aide. Son cri s’étouffa sous le manche du couteau. Il l’appuyait à présent sur ses dents ; l’arme était à quelques pouces de sa gorge. Il n’avait plus qu’à retourner la main. Elle fit un mouvement désespéré, et tout à coup sa robe se défit, laissant sa chair à nu.

Alors une mollesse passa sur la face de l’homme. Des tentations dernières de baiser sa peau se mirent en travers de ses résolutions ; ses doigts se posèrent sur la douceur chaude de cette gorge étalée ; il laissa tomber son couteau. Elle vit qu’elle triomphait et lui jeta ce cri, à travers une joie de tout son être :

— Demain !

Puis leurs bouches se collèrent dans un baiser. Elle avait fait de ses bras un collier autour de sa tête et se pendait à lui, de tout le poids de son corps, sentant ses ruses s’en aller de nouveau, à travers l’effrènement de cette minute d’amour, voisine de la mort. Elle oubliait ses déterminations dans l’orgueil de sa beauté victorieuse ; et la sensation extraordinaire d’avoir été frôlée par la pointe du couteau et d’y avoir échappé lui rendant brusquement sa passion, elle subissait la domination de sa violence, comme de la seule chose qui eût prise sur elle.

Quant à lui, vaincu, tremblant des pieds à la tête, un nuage couvrait ses yeux. Il balbutiait des mots de pardon, noyant dans les chaudes prunelles de la fille son rouge désir d’extermination. Est-ce qu’elle en pouvait aimer un autre que lui ? Est-ce qu’il lui était possible d’avoir pour un autre homme de pareilles caresses ?

Et elle achevait de l’étourdir sous ses chuchotements, ses caresses de lèvres ouvertes qui bégayaient :

— T’es mon coq. Je n’connais que toi.