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pandu, comme une boue morne, sa cervelle sous ses roues inapitoyées ! Il aurait eu la mort heureuse des chiens, des ivrognes, de ce qui crève à ras des pavés !

La tache sombre que faisait l’attelage dans la profondeur eut l’air de s’immobiliser ; une gaieté bruyante de gens heureux monta sous bois, dans le silence du soir, puis s’étouffa, traînant dans les adieux. La voiture avait stopé. Et ses oreilles, résonnantes comme des puits, avec un brouhaha sourd au fond, croyaient percevoir des mots tendres, sortis brûlants des poitrines, les mêmes qu’elle lui disait à lui, au temps des joies.

Brusquement, la voiture continua de rouler, s’enfonçant dans les lointains de la chaussée, et sur ce grondement diminué se détachait le galop d’un cheval battant la route de la retombée rhythmée de ses sabots.

Le galop grandit. Bientôt, dans la nuit grise, une silhouette massive apparut, étoilée du brasillement d’un cigare, dans un tourbillon d’haleines.

D’un bond, Cachaprès fut à la bride du cheval.

À bas ! hurla Hubert Hayot en levant sa cravache.

Le cheval se cabra, la bouche et les dents broyées par cette main de fer pendue au mors, et il essayait de se dégager par des coups de tête saccadés, en reculant du côté du taillis. Cachaprès, obéissant à ses mouvements, reculait avec lui, sans opposer de résistance, toute son attention concentrée sur cette face blême, penchée pardessus sa tête. Et de ses immobiles prunelles dilatées, faites aux guets nocturnes, le cou tendu, horriblement calme, il le regardait, sentant monter dans sa mémoire des souvenirs confus.

En ce moment, un coup de pommeau lancé à tour de bras rebondit sur son crâne. Un second coup lui brûla les yeux comme un tison, et il para le troisième qui lui eût fendu le nez. En un instant, le sang lui péta du front,