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Elle eut un mouvement, l’entendant prononcer ce nom.

— Vous la connaissez ?

— Sans la connaître. Elle est venue dans le temps à la ferme, pour une vache.

— Ah !

La nuit s’accroissait sous les arbres. Une obscurité grise s’étendait le long du pavé, comme une marée qui plus loin grossissait, emplissait déjà les taillis ; et à travers les verdures, un ciel clair s’apercevait, remué par le tremblement des étoiles. Leur chair se mêlait à l’ombre, comme une pâleur de moment en moment envahie par une pâleur plus grande. Alors le noir enhardit le fils du fermier ; il lui demanda des espérances, d’une voix qui devenait pressante ; et, un peu allongée dans la voiture, le corps à demi tourné vers lui, elle laissait pendre sa main par dessus le garde-roues, les sourcils hauts, demeurant songeuse, sans rien lui répondre. Cela serait drôle s’il l’épousait un jour ! Et une idée confuse de devenir la femme de cet homme s’ébaucha en elle. Il était temps, du reste, de prendre un parti ; cette liaison avec l’autre ne pouvait s’éterniser ; cela finirait par se savoir.

Elle l’enveloppa d’un regard rapide, comme pour se rendre compte de l’avenir qu’il lui réserverait. À la vérité, il n’était ni laid ni beau, mais il avait dans les prunelles un velouté caressant et comme un charme humide qu’elle se rappelait avoir vus chez des gens d’église. Il lui avait dit sa haine des cabarets ; jamais il n’y allait, ni aux kermesses ; et la fragilité de sa vertu lui rendant la sagesse plus chère, elle se réjouissait à l’avance de posséder un mari rangé, qui lui ferait goûter des joies régulières. Puis, cet homme parlait comme un livre, et elle l’admirait, sentant toutefois entre elle et lui une gêne sourde, inexplicable.

Il insista, se pencha sur sa selle, garda sa main entre