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les guides, fit claquer sa langue, et la voiture détala, suivie de près par le cheval de Hubert.

Ils gagnèrent la route.

Au-dessus des campagnes, le soleil s’arrondissait rouge comme de la braise. Des plaques de pourpre sombre traînaient sur les carrés de blé immobiles Un brouillard de vapeurs s’élevait de l’horizon. Et lentement le soleil entra dans un large submergement crépusculaire, s’assombrissant par le bas, tandis que le haut du disque continuait à brûler. Puis toute la plaine eut l’air de se noyer dans une mer grise qui finissait par confondre les arbres, les terrains et les maisons.

Le roulement de la voiture soulevait sur le chemin de légers nuages de poussière qui montaient derrière eux et flottaient un instant dans le soir, avec les senteurs âcres mêlées à l’odeur des haies. Hubert trottait à la droite de l’attelage, un poing sur la hanche, les jambes tendues, cinglant par moments le ventre de sa bête de la mèche de sa cravache. Quand le chemin se rétrécissait, il se rangeait, laissait passer la voiture, et Germaine, en tournant à demi la tête, voyait sa cravate verte se hausser, s’abaisser à chaque retombée sur la selle.

Il posait sur elle des yeux chargés de langueur, de dessous ses paupières plissées et la tête un peu penchée sur l’épaule, quelquefois soupirait. Sa voix, qui était grêle, étouffée dans le cliquetis des fers battant le pavé, n’arrivait pas toujours aux oreilles de Germaine ou bien lui arrivait par morceaux, avec des galanteries décousues. Il l’appelait de son petit nom ; elle l’appelait Hubert.

À la bifurcation des routes, au moment de prendre la chaussée qui s’allongeait à travers les bois, elle voulut l’obliger à retourner. Mais il insista pour les accompagner jusqu’à la maison de la Cougnole Là, il rebrousserait chemin.