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bien sûr de marcher droit ; c’était comme une griserie, et il éprouvait parfois le besoin de fendre l’air d’un geste violent.

Il marcha longtemps, heurtant les arbres, nageant à plein corps dans les taillis, frappé par les branches, puis d’un coup s’abattit dans l’herbe, sa tête dans ses poings.

Il eut une rancune.

Pourquoi n’était-elle pas venue dans le verger ? Il l’aurait prise par les poignets, lui aurait dit son fait. Non, il l’aurait embrassée seulement. Les filles, ça se prend par la douceur, comme les oiseaux à la glu : sûrement, il l’aurait embrassée. Et sur ses grosses lèvres rouges encore bien ! Grande bête, va ! Elle s’était ensauvée !

Il battait la terre de son poing, à coups répétés. Voilà pour elle et toutes celles de son espèce. Il y en avait bien d’autres ; les filles qu’on ramasse dans les kermesses sont moins farouches. Et souvent aussi jolies.

Puis la concupiscence le reprit. Il revoyait le coin de son épaule. Il pensait au velours de son regard brun. Il était captivé par l’énervement qui se dégageait de sa personne noire et il s’enfonçait dans un rêve aigu. Il prit de l’herbe, la mâcha, calmant avec cette fraîcheur le feu de ses veines. Et, tandis qu’il brûlait, en proie à ces frénésies, le midi lourd assoupissait l’air, semblait endormir le bois dans un charme d’anéantissement.

Alors, de même qu’il avait dormi la nuit, dans la pâleur des ombres, l’homme dormit un large somme au soleil. Les taillis recourbaient leurs voussures glauques sur son front ; une neige d’aubépine pleuvait dans ses cheveux. Il redevint l’époux de la terre : celui pour qui elle dentelle ses feuillages dans des perspectives d’or pâle ; celui pour qui elle distille la verte odeur du serpolet, de la menthe, du thym et de la lavande ; celui pour qui elle fait chanter les oiseaux, bourdonner les insectes,