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rent sur lui une pluie lente d’étamines qui finit par le couvrir, l’énervant d’une odeur âcre.

Le bourdonnement accru des abeilles et des mouches emplissait l’air d’une musique assoupissante. Les arbres oscillaient sous l’ébattement ininterrompu de moineaux piaillant parmi leurs touffes pâles. Au loin, le vent mettait des ronflements d’orgue dans le bois, et cette rumeur profonde, continue, était scandée par le beuglement grave des bœufs. Par moment, une jument hennissait ; le hennissement était repris par les ronsins et un peu après finissait par le claironnement grêle d’un poulain lâché à travers la cour. La vie se faisait haute partout.

L’homme eut l’air de se réveiller d’un songe. Il étira ses bras, secoua la tête, et, lentement, se mit debout, cherchant à la revoir. Une femme, en jupe courte, sortit de l’étable, portant des seaux de lait à chaque main : un sang rouge fouettait son cou sous ses cheveux couleur de chanvre, et ses genoux montraient à nu leurs pommes bosselées.

Ce n’était pas elle. Il la regarda passer, indifférent : l’autre seule le préoccupait. Puis un homme de haute taille, le père peut-être, sortit de la ferme, se rapprocha du verger ; et il rentra dans le bois, appréhendant d’être découvert.

Une clarté laiteuse descendait des feuilles et l’enveloppait. Les mains dans les poches, il allait, sifflant entre ses dents. De temps en temps il s’arrêtait, regardait le vide fixement, coupait une branche ou lançait des coups de pied aux herbes, absorbé. Des merles jabotaient. Un pic donnait des coups secs dans le tronc d’un arbre. Une pluie de notes cristallines s’égouttait des ramures.

Il ne voyait rien, n’entendait rien, empli d’une sensation confuse de plaisir non satisfait, et constamment une ferme blanche tremblait devant ses yeux. Il n’était pas