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un peu déjetée, et cela faisait une sorte d’infériorité dont elle ne souffrait pas, mais qui grandissait encore Germaine. Elle lui disait : — T’es bien au-dessus de nous, toi ! T’es belle ! T’es presque aussi belle qu’un homme !

Germaine trouvait dans ces mots un écho de ce que lui répétait sans cesse Cachaprès. Cette admiration d’une fille simple lui donnait des satisfactions orgueilleuses. Elle la questionnait alors, riant, heureuse, lui demandant ce qui était belle en elle. Et Célina répondait :

— Je ne sais pas. T’es belle. V’la tout !

Cela lui suffisait, du reste ; autrefois, elle avait bien souvent interrogé son miroir avec inquiétude, au temps où la pensée de l’homme la travaillait. Elle s’était trouvé le nez gros, les sourcils trop fournis, le menton insuffisamment ovale. Mais à présent, elle se savait belle. L’amour lui avait appris à considérer son corps comme un outil merveilleux. Elle connaissait l’empire que la beauté exerce sur les cœurs. Et seule dans sa chambre, elle s’admirait par moments, orgueilleuse et frémissante.

Elle finit par dominer entièrement Célina. Le garde son père reparaissait dans cette fierté impérieuse qui était le fond de son caractère. Elle aimait commander. Elle avait la voix brève des gens qui savent ordonner, et Célina, toujours troublée par l’absence de l’homme, subissait avec un charme étrange les violences douces de cette femme, qui avait sur elle l’autorité de la force et de la résolution.

Elle lui faisait à présent des recommandations. Il ne faudrait pas qu’elle s’avisât de la trahir, sinon elle deviendrait son ennemie, au lieu d’être une bonne amie comme elle était. Célina, ne comprenant pas très bien de quelle manière elle pourrait la trahir, Germaine lui expliqua le mot, dans un sens que Célina ne comprit pas davantage.