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Le coucou fila dans cette symphonie sa note grave d’horloge sonnant la première heure du jour, et aussitôt, de dessous les feuilles, un long bourdonnement s’éleva ; les mouches grises au ventre bleu, aplaties contre les gommes des arbres, les bourdons soûls des orgies de la veille, les gloutonnes abeilles ronflèrent, les ailes détendues ; et toute cette grosse sensualité de vie finit par planer sur le paysage, dans la splendeur du matin.

Lentement les nuées violettes se fondirent dans la nacre perlée du ciel ; puis le soleil monta, faisant bouillir les sèves et craquer les capsules des bourgeons.

Un homme était couché au milieu de cette allégresse de mai, jeune, grand, robuste, les deux mains repliées sous la tête, touchant du dos la terre gardée sèche par son corps. Un sarrau enveloppait son torse sur lequel béait une chemise écrue : il avait les pieds déchaux, ayant mis près de lui ses larges bottines, garnies de clous luisants. Et un apaisement profond l’enveloppait.

Il dormait du grand sommeil de la terre dormant sa nuit. L’énorme torpeur nocturne des bêtes et des arbres s’attardait sur cette silhouette confondue à la nature. Il dormait sans rêves, heureux, tranquille, bercé par les souffles de l’air, ainsi que les forts.

Tout à coup, le soleil, jaillissant du fourré, coula jusqu’à sa masse immobile. Une clarté dora les hâles de sa peau, fit reluire sa barbe noire, lustra ses tétins bruns. Il eut un mouvement, se mit sur le côté, parut se rendormir. Mais le soleil, passant entre ses cils, lutinait sa rétine. Il se dressa sur son séant, et ses yeux gris, pleins de ruse, s’ouvrirent.

Tandis qu’il regardait autour de lui, la terre en feu communiquait à ses membres une effervescence. Il huma l’air, les narines dilatées ; puis, d’un geste brusque