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À quoi bon, du reste ? Elle ne le reverrait plus. Elle y était décidée. Cet homme aurait passé dans sa vie : voilà tout. Est-ce qu’il n’y a pas tous les jours des histoires de filles qui se paient un caprice ? Elle avait voulu connaître l’amour ; à présent qu’elle le connaissait, elle redeviendrait la Germaine d’autrefois. Elle était bien bête de tant se chagriner.

Puis elle se rappela les paroles de la Cougnole, et petit à petit ce souvenir l’obséda, au point de faire bouillir son sang. Il leur serait facile de se revoir ; la vieille leur était acquise ; on paierait sa discrétion. Et des idées de bonheurs interminables de nouveau hantèrent sa cervelle en proie aux curiosités de l’amour.

Le soir glissa le long des toits dans la cour. La pluie avait cessé. Des bouts de nuées violettes se défaisaient dans la pâleur du ciel ; sur l’horizon clair, les bois mettaient leurs noires masses dormantes. Une gravité se répandit sur la campagne.

Un banc en pierre était accoté au mur, près d’une touffe de chèvrefeuilles, en dehors de la cour. De là, on voyait le bossèlement des champs à travers la plaine inégale. Germaine alla s’asseoir sur le banc. Le noir de la nuit l’enveloppa bientôt, demi-sommeillante, tranquillisée et comme bercée dans les ombres muettes. Elle aurait voulu s’endormir, sous le ciel, là, près de lui.

En ce moment, un gémissement lent s’éleva, grandit, plana au-dessus du sommeil des étables. Et un peu après, le gémissement se fit entendre de nouveau, infiniment douloureux, avec une tristesse presque humaine.

Cela déchira la nuit, et, sans savoir pourquoi, Germaine tressaillit. C’était une vache en train de vêler.

Les maux la faisaient meugler, tantôt debout, tantôt couchée, et les autres vaches la regardaient de leurs yeux ronds, le mufle tendu, inquiètes. La vachère était auprès