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— Tais-toi.

— Que j’m’tais, quand j’m’entends dire que j’suis un menteur ?

Il jouait l’indignation. Elle le laissait se défendre, heureuse de le croire, avec une satisfaction d’amour-propre qu’il eût passé la nuit à pleurer pour elle. Et tout à coup sa colère tomba, fit place à des douceurs dans l’œil et dans la voix.

— Descends une miette, dit-il. On causera derrière les pommiers, là-bas.

Il avait gardé sa main dans les siennes et lui donnait de petites secousses, comme pour attirer toute sa personne. Elle disait non, de la tête, mais il s’obstinait, réitéra sa demande. Alors elle lui déclina ses raisons. Le fermier s’éveillerait d’un moment à l’autre. Ses frères aussi. On n’aurait qu’à s’apercevoir de quelque chose. Ils ne pourraient plus se voir.

— J’te montrerai mes bricoles. Tu prendrais du plaisir, vrai, dit-il.

Et il raconta ses promenades dans la forêt, la nuit. Il y avait des fois qu’il était obligé de se battre avec les bêtes. Un jour, il avait pris un chevreuil vivant, à la course. Il entrait dans des détails, dépeignait le silence de la nuit, imitait le passage des fauves, était emporté par sa passion de chasseur.

Elle l’écoutait, les yeux fixés sur les siens. Le sang du garde Maucord se réveillait en elle. Toute jeune, dans les rares moments où son père parlait, elle avait entendu des choses semblables, mais dites autrement, avec la voix maussade d’un causeur qui n’aimait pas à s’expliquer. Ces souvenirs lui revenant, elle était prise du désir de rôder, elle aussi, dans la forêt. Le mystère des ruses la tentait. Et elle finit par dire qu’elle regrettait de n’être pas un homme, pour chasser ensemble, avoir à deux les sensations fortes de l’affût.